La fin du développement personnel

Chronique d'une mort annoncée ?

Ce week-end, en me promenant dans les rues d’Angoulême, j’ai été frappé par une inscription sur la vitrine d’une librairie.
Un petit texte écrit au Posca blanc, avec un titre raturé :

Sélection développement personnel / collectif.

Et, en dessous de ce titre volontairement provocant, ce petit texte engagé :

« Parce que nous pensons que pour aller mieux nous avons besoin de réponses qui dépassent l'échelle individuelle, nous proposons une sélection de livres s’inspirant des sujets habituellement traités sous l’angle du développement personnel mais incluant analyse systémique ou sociologique et solutions collectives. »

Voilà une réflexion intéressante sur ce “développement personnel” qui inonde les librairies du monde occidental. Le ou la libraire nous partage, ici, clairement, en barrant le terme personnel, son point de vue tranché et militant. Le développement personnel est ici supprimé, biffé comme une mention inutile. Comme si c’était un luxe, voire une impasse, et qu’il fallait immédiatement penser au collectif.

Je dois avouer que j’ai ressenti un léger malaise. Comme si, en supprimant le “connais-toi toi-même”, on brûlait une étape essentielle. Pourquoi faudrait-il choisir entre l’individu et le groupe ? N’y a-t-il pas, entre ces deux pôles, un mouvement plus vaste qui les relie, une interconnexion vitale ?

L’illusion du choix entre soi et les autres

Il est vrai que nous vivons dans un monde duel. Plus que jamais. Un monde où l’on oppose bien souvent des visions idéologiques, avec rarement ce qu’il faut de pondération. Dans ce cas-ci, on assiste à l’affrontement de l’individuel et du collectif. On pourrait aussi parler de l’opposition entre l’intérieur et l’extérieur.

D’un côté, le développement personnel, qui nous invite à nous recentrer, à mieux nous connaître, à cultiver notre propre équilibre, nos ressources et nos limites.

De l’autre, une approche plus collective, qui rappelle que nos blessures ne sont pas seulement individuelles, mais systémiques, et que la transformation doit passer par le relationnel et par des dynamiques sociales et culturelles plus larges. J’aime l’imaginer comme l’étape suivante au développement personnel : le “développement interpersonnel”.

L’un sans l’autre ne peut fonctionner, car ils nous enferment inévitablement dans une impasse. Si nous ne nous concentrons que sur nous-mêmes, nous risquons de nous replier sur une quête solitaire, coupée du réel. Mais si nous cherchons à construire un monde meilleur sans avoir d’abord pris le temps de nous connaître, nous pourrions nous perdre dans des combats extérieurs, vidés de sens, emportés par des courants qui ne sont pas forcément les nôtres.

Il y a donc une nécessité de collaboration entre ces deux forces pour toute transformation profonde du monde actuel, un double mouvement essentiel :

  1. D’abord, un travail intérieur – une plongée dans nos profondeurs, nos ombres et nos lumières.

  2. Puis, un travail de relation, – d’écoute, de lien avec les autres, où nous nous découvrons autrement, dans le miroir du regard d’autrui.

Le petit texte activiste de la vitrine est un exemple de ces raccourcis dans lesquels le monde d’aujourd’hui s’abîme trop souvent, par manque de nuance et par rejet de toute autre vision que la sienne.

Mais je voudrais aller un peu plus loin car ces deux premières étapes, bien qu’essentielles, ne suffisent pas à l’action dans le monde, ce que semble viser l’écriteau pamphlétaire. Si l’on s’arrête à ces deux premiers champs d’action – sur soi et sur les autres –, on manque l’essentiel : l’ancrage dans le monde, le lien à la Nature et à la Conscience.

Trio

L’un ne peut aller sans l’autre…

Le Triple Lien : Soi, les Autres et la Nature

C’est le philosophe Abdennour Bidar qui parle merveilleusement de ces trois liens fondamentaux qui structurent notre existence :

  1. Le premier est celui que nous entretenons avec nous-mêmes : le “décrié” développement personnel.

  2. Le deuxième est celui qui nous relie aux autres : celui que j’appelle le développement interpersonnel.

  3. Le troisième est plus vaste encore : il s’agit de notre lien à la Nature, au monde, à l’invisible. Ce fil qui nous rattache à quelque chose de plus grand que nous, au grand mystère qui nous dépasse.

C’est ce que j’appelle la Conscience Collective. Un espace de croissance qui nous permet d’évoluer ensemble, au sein d’une communauté de conscience, en lien avec une énergie transcendantale et transformatrice. C’est cette action-là, centrée, active, purifiée et éclairée, qui amène les transformations profondes dont le monde a besoin.

Lorsqu’un de ces liens est négligé, un déséquilibre s’installe :

  • Si l’on se concentre uniquement sur soi, on risque l’isolement.

  • Si l’on se disperse dans les autres, on s’oublie.

  • Si l’on oublie notre place dans le monde, on perd le sens de ce que l’on fait.

L’harmonie se trouve dans l’équilibre entre ces trois dimensions.

Quelques questions à se poser

Alors, où en sommes-nous aujourd’hui ?

  • Prenons-nous le temps d’être à l’écoute de nous-mêmes ?

  • Nos relations sont-elles nourrissantes et sincères ?

  • Nous sentons-nous reliés à quelque chose de plus vaste, que ce soit la nature, le monde invisible, une mission ?

Nous avons tous des déséquilibres, des moments où l’un de ces liens prend le dessus sur les autres. L’important n’est pas de tout maîtriser, mais d’apprendre à ajuster, à réajuster sans cesse.

Alors aujourd’hui, pourquoi ne pas faire ensemble un petit pas dans la direction qui nous manque ?

Un instant de silence pour écouter ce qui vit en nous.

Un échange plus profond avec quelqu’un qui compte.

Un regard levé vers le ciel, un souffle pris dans la nature, pour nous rappeler que nous faisons partie d’un tout.

Tout est relié. Nous grandissons ensemble.

Joie et lumière,
Gilles-Ivan