L’Homme, valeur ajoutée de Conscience dans l’expérience du monde

« Quod natura relinquit imperfectum, ars perficit ».

À l’heure où de profondes crises existentielles façonnent ardemment une pensée selon laquelle l’homme serait la principale menace pour la Terre, une question profonde mérite d’être posée : l’humain, à défaut de devenir un intrus gênant dans la nature du monde, ne serait-il pas plutôt une expression de celle-ci, une valeur ajoutée consciente à l’expérience du monde ?
En d’autres mots, l’humain ne serait pas un parasite à éradiquer, mais un pont entre la matière brute et la conscience, entre le visible et l’invisible.

Voilà une lecture plus belle et sans doute plus juste qui m’a traversé en relisant les récits de voyage de Carl Gustav Jung, notamment celui de son périple en Afrique de l’Est en 1925, où il explore des sociétés quasi exemptes de la modernité occidentale. Jung n’était pas seulement un explorateur de l’inconscient ; il était aussi un observateur du monde, cherchant à comprendre comment l’homme se relie au sacré, au mystère de l’existence.

L’Humain : Intrus ou Expression de la Nature ?

Il est facile, face aux ravages environnementaux et aux multiples assauts envers nos démocraties déjà fragilisées (voire inexistantes), de céder à l’idée que l’humanité est une erreur de la nature. Tout semble plaider pour cette déclaration fracassante. Pourtant, selon Jung, cette vision repose sur une confusion manifeste : l’humain est la nature en train de se réfléchir elle-même. Nous ne sommes pas séparés du vivant, nous en sommes une émanation. La conscience humaine n’est donc pas une anomalie, mais un prolongement du monde.

Carl Gustav Jung, dans son autobiographie “Ma Vie : Souvenirs, rêves et pensées” partage une réflexion marquante issue de son expérience en Ouganda. Face à l’immensité des paysages africains, il ressent cette évidence : la nature existe sans nous, mais elle n’a pas de regard pour se voir elle-même, pas de langage pour raconter son propre mystère. L’homme, avec sa capacité à contempler, à symboliser, à rêver, vient compléter ce que la nature, livrée à elle-même, ne peut accomplir seule.

« C'est ici qu'avec une éblouissante clarté, m'apparut la valeur cosmique de la conscience : Quod natura relinquit imperfectum, ars perficit (“Ce que la nature laisse incomplet, l'art le parfait”), est-il dit dans l'alchimie. L'homme, moi, en un acte invisible de création, ai mené le monde à son accomplissement en lui conférant existence objective.[…] L'homme est indispensable à la perfection de la création, que, plus encore, il est lui-même le second créateur du monde ; l'homme lui donne pour la première fois l'être objectif – sans lequel, jamais entendu, jamais vu, dévorant silencieusement, enfantant, mourant, hochant la tête pendant des centaines de millions d'années, le monde se déroulerait dans la nuit la plus profonde du non-être pour atteindre une fin indéterminée. La conscience humaine, la première, a créé l'existence objective et la signification et c'est ainsi que l'homme a trouvé sa place indispensable dans le grand processus de l'être. »

(Extrait de C. G. Jung, Ma Vie : Souvenirs, rêves et pensées)

C. G. Jung

Conscience : Le Rôle Unique de l’Humain

La nature, dans son foisonnement chaotique, n’a pas besoin de l’homme pour être belle, mais elle trouve en lui un témoin. Sans conscience, il n’y a pas de poésie pour chanter la mer, pas de mythes pour raconter les étoiles, pas d’art pour transformer la matière en symbole. L’homme est ce par quoi la nature prend conscience de sa propre existence.

Ce n’est pas une position de supériorité, mais une responsabilité : être le miroir du monde, celui qui reflète et révèle. Là où la nature suit des cycles aveugles, l’homme introduit la question du sens. Là où la vie cherche à survivre, l’humain cherche à comprendre, à s’élever, à transcender.

Sans conscience, il n’y a pas de poésie pour chanter la mer, pas de mythes pour raconter les étoiles, pas d’art pour transformer la matière en symbole. L’homme est ce par quoi la nature prend conscience de sa propre existence.

Au-delà de la Culpabilité : Vers un Dialogue Vivant

Les discours contemporains tendent parfois à culpabiliser l’humanité, comme si notre seule présence était un problème à résoudre. Mais la vraie crise n’est pas celle de l’existence humaine ; c’est celle du déséquilibre dans notre manière de nous relier au vivant.

Ce n’est pas l’homme qu’il faut effacer, mais l’illusion de séparation. Car l’homme n’est pas en dehors de la nature, pas plus qu’une vague n’est séparée de l’océan. Nous faisons partie d’un tout dynamique, d’une danse où chaque être — des pierres aux étoiles, des arbres aux pensées humaines — participe à un grand mouvement de vie.

Plutôt que de chercher à « sauver la planète » en niant notre place, il s’agit de retrouver notre juste rôle : celui de co-créateurs conscients. Non pas des dominateurs, ni des intrus, mais des partenaires du vivant.

L’Homme comme Messager du Mystère

Jung, face aux grands espaces d’Afrique, a peut-être touché cette vérité simple : l’homme est un messager. Non pas un messager au service d’une mission égoïste, mais celui qui donne une voix au mystère, celui qui, par son regard, honore la beauté d’un monde qui, sans lui, resterait muet.

Ce n’est pas la nature qu’il faut sauver de l’homme, c’est l’homme qu’il faut sauver de l’oubli de sa nature profonde. Celle d’un être fait de chair, d’esprit, et de ce souffle ineffable qui relie le visible à l’invisible.

Si l’humanité est capable de grands ravages, elle est aussi porteuse d’une conscience unique et d’une sensibilité qui peut magnifier le monde. L’enjeu n’est donc pas de juger l’homme coupable par essence, mais de l’aider à se souvenir de sa vocation profonde : celle d’un co-créateur bienveillant, au service d’un dialogue vivant avec l’ensemble du cosmos.